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Retour du loup

27 février 2021

Retour du loup

Il y a quelques décennies, on s’aperçut que l’expansion humaine et les différentes autres formes de pollution provoquaient la disparition de nombreuses espèces animales et végétales. Bien entendu, et rien n’a vraiment changé depuis, il n’était pas question de modifier notre rapport au monde, basé sur l’exploitation des semblables et des autres formes de vie. On n’avait pas non plus la possibilité de réintroduire en masse toutes les espèces là où elles étaient menacées ou avaient récemment disparu. De toute façon, comment aurait-on pu obtenir d’autres effets alors qu’on se refusait à desserrer l’emprise écrasante que nous exerçons sur notre milieu ? Cependant, une sensibilité écologique avait vu le jour et l’on se soucia, avec plus ou moins de sincérité selon les sources, du bien-être animal et de sauvegarder ce qui restait de la biodiversité. On décida que les formes de vie qui avaient survécu devaient être implantées un peu partout.

  Il était difficile de savoir ce qui se passait réellement pour chaque région car la population n’était ni consultée, ni informée. On vit bien, dans la nôtre, qu’on avait relâché des corbeaux pour renforcer des effectifs en net déclin. Il apparut qu’il serait difficile de les maintenir en montagne car, en raison de la disparition de nombreuses espèces, ils n’ont plus grand-chose à se mettre sous le bec. La mise en place de mesures sanitaires strictes leur avait été également préjudiciable. En effet, le service d’équarrissage les prive des cadavres de veaux traînés jadis, en dépit des interdictions, dans les bois en plein hiver ainsi que des placentas qu’on n’avait pas l’obligation d’enterrer. Si l’on veut être sûr de voir des corbeaux, désormais, il est préférable d’aller en ville. C’est pendant cette période que les rats taupiers se mirent à proliférer et à transformer prairies et collines en vastes champs labourés. De mémoire d’homme, on n’avait jamais observé pareil saccage auparavant. Avait-on imprudemment relâché une nouvelle espèce dans un écosystème inadapté ? Le doute reste permis car on s’explique mal l’importance et la durée d’un tel dérèglement. Dans le paysage, on vit arriver d’autres têtes : surtout des cerfs et des hérons. Quant à ces derniers, la réussite fut loin d’être au rendez-vous. Ils furent parfois lâchés au-dessus de modestes ruisseaux, encore amoindris par le réchauffement climatique. Dix ans plus tard, il n’y avait plus ni poissons ni hérons.

  A l’échelle de la planète, la disparition des espèces continuait toujours bon train et, afin d’occulter la destruction alarmante du milieu, il fallait soigner la communication. Le panda, avec sa bonne tête de bébé ronchon et maladroit, allait devenir l’arbre qui cacherait la forêt des désastres. Médiatisé, il acquit un capital-sympathie très important et on assura au monde qu’il disposerait toujours d’une réserve suffisante d’eucalyptus. Ailleurs, l’ours polaire bénéficiait d’une aura appréciable mais comme on ne voulait pas vraiment changer les choses, sa banquise était condamnée et ce futur S.D.F. ne pouvait donc pas être notre panda. Ce rôle échut au loup.

   Aux yeux des citadins, il symbolise le monde sauvage qu’on a plaisir à retrouver le week-end ou en vacances. C’est en ce sens qu’il est utilisé dans le domaine artistique où il prend une dimension supplémentaire. Dans les clips, il devient une sorte de gourou qui permet à l’homme de renouer avec la nature et de retrouver son équilibre psychique. Afin d’agrémenter le tout, on avait fait circuler à l’époque des documentaires animaliers où l’on voyait un employé apporter des quartiers de viande à une meute enfermée dans un vaste enclos grillagé. Il entrait, s’asseyait contre un arbre et, après le repas, les animaux venaient jouer avec lui. Il commentait : « vous voyez bien que les loups sont gentils. » Dotés de qualités qu’on ne leur soupçonnait pas et animés de louables intentions, la cohabitation avec les humains s’annonçait prometteuse.

  Il va de soi qu’aucune espèce, aussi emblématique soit-elle, n’est en mesure de reconstituer les écosystèmes qui continuent de s’écrouler sous la mainmise de plus en plus dévastatrice de l’homme. L’objectif est tout autre. On souhaite entretenir l’illusion, qu’en haut lieu, on se préoccupe des autres formes de vie et qu’on est prêt à partager l’espace avec eux. Nous sommes désormais devenus raisonnables. Le panda et le loup sont là pour en témoigner.

  Il s’agit donc d’un effet d’annonce. Si on veut le renforcer et surenchérir dans la déraison, puisque nous semblons manquer de prédateurs, pourquoi se limiter au loup ? Toutes proportions gardées, il n’y a pas si longtemps, des lions sans crinière et des tigres à dents de sabre étaient également sur notre territoire. Sachons faire des concessions. Acceptons les crinières, passons-nous des dents de sabre et relâchons quelques couples de fauves. Cela donnerait lieu à des scènes si attendrissantes : une rencontre avec une troupe de lions au cours d’une promenade. Nos enfants seraient ravis d’aller caresser les lionceaux sous le regard bienveillant de leurs mères. Désolé pour les nostalgiques du Crétacé mais nous ne sommes pas en mesure de faire revivre les tyrannosaures. C’est dommage, ils auraient été en bonne place dans ce tableau.

  Pour en revenir à la réalité du terrain, le loup est un prédateur. Il joue le même rôle que nous : réguler les herbivores. Si on le laisse s’installer, c’est que sur la planète, tous les hommes mangent à leur faim et que nous produisons plus que nous ne pouvons consommer. Les éleveurs ne parviennent plus à faire contenir les bêtes dans les étables. Rendues à l’état sauvage, elles prolifèrent ainsi que les cerfs, chevreuils et autres bouquetins et le milieu s’en trouve dévasté. Submergés par cet afflux de proies, les chasseurs ne sont plus en état de rétablir les équilibres. Dans ce contexte imaginaire bien sûr, la présence du loup serait indispensable. Il se chargerait d’éliminer les excédents dont nous ne saurions que faire. Or, ce n’est pas le cas. Ceux qui vivent dans la précarité, voire le dénuement, seraient ravis qu’on leur propose des repas avec les ovins prélevés par les loups et, plus tard, avec les têtes de bétail qui vont s’y ajouter pour nourrir des meutes densifiées. Ne me dîtes surtout pas qu’on préfère nourrir les loups que les démunis !

 Les écologistes qui ont soutenu ce projet sont souvent des défenseurs de la cause animale. Lutter, contre la maltraitance notamment, est un combat légitime que l’on se doit de continuer. Cependant, laisser revenir le loup, c’est intensifier la souffrance tant du côté des prédateurs que des proies. Le loup n’est pas un bon tueur. Il n’est pas armé pour cela. La meute isole un individu et le poursuit jusqu’à épuisement puis le déchiquète peu à peu. Une fin horrible ! Le sort des loups ne sera guère plus enviable. Déjà dans le Sud, lorsque les dégâts sont importants, on autorise les éleveurs à tirer. Parfois, le prédateur est tué sur le coup mais il arrive que, mortellement blessé, il agonise pendant plusieurs jours. S’il s’agit d’une louve qui allaite, ses petits seront condamnés à mourir de faim. Il y aura plus grave encore. Les meutes vont se renforcer grâce aux proies sauvages mais aussi à l’apport des troupeaux domestiques. Or, ces derniers chaque année, prennent leurs quartiers d’hiver et, dans les zones de montagne, ils restent enfermés environ six mois. Les loups affamés vont donc entrer dans les villes pour vider les poubelles tant qu’ils en auront l’opportunité. Elles sont parfois remplacées par des containers souterrains inaccessibles. Il y aura forcément des agressions sur des S.D.F. ou des randonneurs isolés car le loup, aussi gentil soit-il, doit se nourrir pour survivre. Alors, on décidera d’organiser des battues, des massacres à grande échelle comme ce fut le cas dans le passé. Il était absent et bien des souffrances également. On a créé un nouveau problème alors que nous en sommes déjà si copieusement pourvus. Et surtout, il ne faut pas craindre d’insister sur ce point, imaginer, alors même que nous continuons à nous répandre et à détruire notre milieu, que la réintroduction d’une seule espèce assurera la reconstitution de l’ensemble des écosystèmes relève d’une douce rêverie. Pour que les choses changent vraiment, il faudrait admettre que nous sommes à l’origine des dérèglements, une sorte de cancer de la planète qui ne cesse de s’étendre en éliminant tout ce qui se trouve autour de lui. Il devient urgent de nous restreindre afin de laisser de l’espace aux autres. Les espèces ne peuvent survivre et se régénérer si on empiète toujours plus sur leur propre milieu. Mais il est inconvenant de parler ainsi. Ce n’est pas humainement correct. Restons dans le déni. La surpopulation demeure un sujet tabou.

 

  Tout cela illustre à merveille cette forme de folie ordinaire de plus en plus présente dans notre société.

 

 

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